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Musique
Pop velours

Cet article fait partie de la série « Musique, solitude & renaissance au-delà des frontières », réalisée par Meggie Lennon à la barre de l’émission POP Velours sur les ondes de CKIA. Lors de son passage à la 16e édition du Festif de Baie-Saint-Paul, elle s’est entretenue avec trois artistes : Viviane Audet, Reyna Tropical et Kate NV. Inspirée par une réflexion de Nina Simone, qui voyait la solitude comme à la fois une compagne et une épreuve, chaque entrevue explore comment l’isolement devient, pour ces créatrices, une source de sens, d’ancrage et d’éclat.

Entrevue no 1 : Viviane Audet

Viviane Audet compose comme elle respire. Entre ses racines gaspésiennes et ses élans créatifs, rien n’est laissé au hasard. Elle navigue avec une aisance désarmante entre la musique, la composition pour l’écran et le jeu d’actrice. Le 31 janvier 2025, elle dévoile Le piano et le torrent, un album néo-classique à fleur de peau, inspiré par le deuil et le déracinement.


Q : En mai 2021, vous vous êtes isolée dans une sacristie à Richelieu pour composer les 15 pièces instrumentales figurant sur Le piano et le torrent, paru au début de l’année. Vous avez dit que vous écriviez « pour survivre ». Est-ce que la solitude a agi pour vous comme une forme de bouée de sauvetage? Cette démarche quotidienne a-t-elle permis de transformer une solitude souvent perçue comme lourde ou douloureuse en quelque chose de plus doux, nourrissant, voire protecteur?

R : Absolument, surtout à cette période-là. En mai 2021, j’ai perdu ma grand-mère. Mes parents se sont séparés, dans le même mois. Il s’est passé tellement de choses. J’avais un petit bébé aussi. J’avais accouché pas longtemps avant. Et puis, on était encore en pleine pandémie.

Tu sais, la solitude faisait partie du quotidien de tout le monde. Et moi, je la vivais loin de ceux que j’aimais. Il y avait comme un tsunami, un torrent, justement, qui se passait à 800 kilomètres de chez moi. Et je me sentais seule dans cette tristesse-là, comme si je ne pouvais pas accompagner ceux que j’aime.

Et ce piano-là, ce piano blanc-là, toute l’histoire du piano abandonné puis retrouvé… J’ai commencé à composer une pièce par jour. Et ça m’a vraiment fait du bien, parce que je n’avais aucune ambition avec ça. Ce n’était pas « je vais composer un album néoclassique », bla bla bla. C’était juste : je vais jouer du piano et je vais m’enregistrer. De toute façon, à ce moment-là, on s’en rappelle, on avait l’impression qu’on ne tournerait plus jamais. Tout était compliqué.

Et j’aime ta question, parce que j’aime dire que quand on joue d’un instrument, on n’est pas seul. On n’est jamais seul. C’est en mai 2021 que j’ai vraiment compris à quel point c’était vrai. On peut combler la solitude de toutes sortes de façons… mais ce qui est sûr, c’est qu’on peut vraiment la combler avec la musique. C’est un peu absurde… quelqu’un de très timide…


Q : Vous avez mentionné être très timide, incapable de créer en présence d’autrui, et que la création est pour vous une expérience profondément intime. Pourtant, vos rôles de mère et de comédienne vous placent constamment dans la présence des autres, dans le tumulte du quotidien. Comment parvenez-vous à préserver cet espace intérieur nécessaire à la création, tout en assumant vos engagements familiaux et professionnels?

R : En fait, c’est drôle. La timidité, je la vis vraiment dans la création. C’est comme le seul pan de ma vie où j’ai cette pudeur-là. J’ai de la misère à créer en présence d’autres personnes. Même quand j’étais petite, je ne jouais pas de piano devant mes parents. C’est comme si… je me garde pour quand ça va être le moment.

Mais cette timidité-là, j’ai appris à la contrôler, parce qu’avec le temps, je compose beaucoup de musiques de films, je travaille avec mon chum, avec un co-compositeur… on est souvent à trois, tout le temps. J’ai fini par passer par-dessus.

Et oui, il y a beaucoup de projets dans ma vie. J’aime ça. Il y a beaucoup de boucles, de trucs poilus, d’allumés — plein de projets différents. Avec le temps, je finis par retrouver mon « congé » dans ma tête. Je suis vraiment correcte avec ça.

Ma vie de mère, c’est une chose. Mais si tout n’est pas bien réglé de ce côté-là, ça affecte tout le reste. C’est comme une auto un samedi matin festif. Quand je sais que mes enfants sont avec mon chum, que tout est sous contrôle, tout peut aller bien ailleurs.

Mais pour revenir à ta question : oui, la création, maintenant, je dois l’intégrer à mon quotidien. Si je n’ai pas le choix, je compose dans le salon, avec les enfants qui courent, qui crient, qui jouent… C’est ça, ma réalité. Je ne peux plus m’isoler comme avant. Il faut que je compose avec la télé ouverte, les enfants qui se chicanent, pendant que j’écris un accord et que j’enregistre sur mon téléphone.

Je n’ai pas le choix. Sinon, j’oublie mes idées.


Q : Vous avez déjà dit avoir une relation amour-haine avec l’écriture — ce moment où l’on rejette ce qu’on vient de créer, avant de le redécouvrir plus tard avec un regard plus tendre. Comment apprivoisez-vous cette tension intérieure? Et comment parvenez-vous à cultiver, dans ce processus, à la fois la patience… et la bienveillance envers vous-même?

R : Il faut se donner un petit temps entre le moment où on écrit et celui où on se relit. Si tu te relis tout de suite après, souvent, tu trouves ça mauvais.

Moi, c’est comme ça. Il faut que ça décante. Un peu comme un vin, ou n’importe quoi : il faut laisser les choses se déposer au fond. Après, on revient avec un peu de recul, et on est plus bienveillant envers soi-même.

L’écriture, pour moi, c’était justement un défi avec Le piano et le torrent, parce que l’album est instrumental. Il y a une absence de mots. Et en même temps, je n’ai pas eu le choix d’écrire. J’ai écrit un texte pour accompagner l’auditeur. Il accompagne le vinyle, le CD…

« Et là, tadam! » Viviane me tend son livre de partitions, sourire aux lèvres. « C’est la première fois que quelqu’un le voit! » dit-elle, presque surprise elle-même de le partager.

J’ai rajouté ces textes-là dans la partition, un peu comme Érik Satie faisait. Il annotait ses partitions, mais c’était plus des trucs instinctifs, des ambiances. Donc, tu vois, même si je n’écris pas de paroles sur cet album, l’écriture est quand même présente.


Q : Vous avez envoyé une copie de votre album à Donald Trump, accompagnée d’un petit barlicoco, avec une note qui disait : « Simplement pour vous rappeler que chaque pays est souverain de ses coquillages. » C’est à la fois doux, drôle et terriblement lucide. Dans un monde qui va vite, parfois brutalement vite, comment faites-vous, vous, pour garder le cœur joyeux et enraciné?

Voyez ce que Viviane répond à cette question dans cette vidéo captée juste avant son magnifique spectacle sur le Quai Bell, devant le fleuve:



Merci au Festif! de Baie-Saint-Paul de m’avoir accueillie dans cette 16e édition haute en découvertes, en émotions et en musique. Pour en savoir plus sur le festival, visitez lefestif.ca


Crédit photo: Ludovic Gauthier

Vidéo: Meggie Lennon

 
 

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ions

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