Pop velours
Cet article fait partie de la série « Musique, solitude & renaissance au-delà des frontières », réalisée par Meggie Lennon à la barre de l’émission POP Velours sur les ondes de CKIA. Lors de son passage à la 16e édition du Festif de Baie-Saint-Paul, elle s’est entretenue avec trois artistes : Viviane Audet, Reyna Tropical et Kate NV. Inspirée par une réflexion de Nina Simone, qui voyait la solitude comme à la fois une compagne et une épreuve, chaque entrevue explore comment l’isolement devient, pour ces créatrices, une source de sens, d’ancrage et d’éclat.
Entrevue no 3 : Kate NV
N.D.L.R. L’entrevue s’est déroulée en anglais. Ce que vous lisez ici est une traduction libre, avec tout le cœur et l’esprit de la conversation intact!
Q : Vous avez quitté la Russie pour vous installer à Berlin. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui vous a poussée à vous installer là-bas et comment s’est passée cette période pour vous?
R : Bien sûr. Je me suis retrouvée à Berlin principalement parce que j’ai dû quitter la Russie à cause de la guerre en Ukraine. Rester là-bas n’était plus vraiment une option, sur les plans politique, social et personnel, c’était devenu trop difficile, trop dangereux. Berlin m’a semblé un refuge possible, un endroit où je pouvais continuer à travailler et essayer de reconstruire une certaine stabilité. Mais honnêtement, tout cela s’est fait un peu à l’improviste et c’était assez stressant. Je n’avais pas vraiment de plan clair ni de parcours défini pour m’y installer.
Je ne me suis jamais vraiment sentie chez moi à Berlin. Étrangement, on s’attend à ce qu’une ville devienne un foyer avec le temps, mais ça n’a jamais été le cas pour moi. Certaines villes ne correspondent tout simplement pas à notre énergie, notre mode de vie ou notre culture. J’appréciais beaucoup l’ouverture, la scène artistique, l’histoire de Berlin, mais ça ne collait pas vraiment avec mon style personnel. Pour certains, Berlin est une ville de rêve, mais pour moi, c’était surtout une étape temporaire, pas un vrai chez-moi.
Q : Ça a dû être extrêmement difficile. Comment avez-vous fait face à ces défis liés à un déménagement dans des circonstances si compliquées?
R : C’était vraiment compliqué. Même si Berlin n’est pas une zone de guerre, ce sentiment de déracinement m’a profondément affectée. Je me sentais sans repères, et ce manque a ajouté une couche de stress et d’isolement. Être en sécurité physiquement, c’est une chose, mais être installée émotionnellement en est une autre. Cette perte de « chez-moi » a probablement été la partie la plus dure.
Ce fut un chapitre difficile, stressant et incertain, mais ça m’a aussi offert une nouvelle perspective. Cette expérience m’a montré ce que signifie être déracinée, perdre ce sentiment de foyer. Cela a changé ma façon de me voir moi-même et d’aborder mon travail artistique. Ce n’était pas facile, mais au final, ça s'est avéré transformateur.
Q : En parlant de transformation, de quelle manière ce déracinement et la solitude qui l’accompagne ont-ils façonné votre musique?
R : La solitude a toujours une place importante dans ma vie. Quand je faisais Room for the Moon, je me sentais vraiment très seule. À ce moment-là, je pensais que je n’avais pas d’amis. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, mais j’ai vécu une forme de solitude que je n’avais jamais connue auparavant. Ce n’était pas seulement être seule, c’était cette sensation d’être en dehors du système auquel j’étais habituée. Mon environnement était devenu étranger, et même avec des amis, cela ne suffisait pas à combler ce vide.
Le monde, ce « système », paraît immense et déconnecté. On réalise que beaucoup de gens sont eux aussi perdus, en difficulté. Savoir qu’on n’est pas seul à lutter peut apporter un certain réconfort, mais la solitude reste une expérience très dure, différente, profonde.
Q : Est-ce que le fait de savoir que tout le monde lutte un peu à sa manière rend la solitude plus facile à supporter?
R : Je ne sais pas trop. D’une certaine façon, ça peut aider un peu, c’est rassurant de savoir qu’on n’est pas seul. Mais en même temps, pourquoi devrais-je être heureuse que tout le monde lutte ? Ce n’est pas une raison de célébrer. C’est juste un constat : nous sommes tous coincés dans une expérience difficile. C’est une forme étrange de solitude, que je n’aurais jamais pensé ressentir, et que je ne souhaiterais à personne.
Q : Vous faites une distinction importante entre solitude et isolement. Pouvez-vous expliquer comment vous différenciez ces deux expériences?
R : Oui, la solitude et l’isolement sont très différents. La solitude, c’est être bien avec soi-même, se sentir accompli et en paix quand on est seul. C’est un état où on sait qui on est, ce qu’on aime, et on est content d’être simplement avec soi-même. La solitude est presque un état naturel, calme, connecté à la nature, comme observer le monde et soi-même en silence.
L’isolement, en revanche, c’est se sentir incompris, déconnecté. Quand il s’intensifie, on a l’impression que personne ne pourra jamais vraiment nous comprendre. C’est un endroit difficile et douloureux, lourd à porter.
Q : Est-ce que la musique vous aide à gérer ce sentiment d’isolement? Est-ce qu’elle agit comme un partenaire à travers ces expériences?
R : Pendant longtemps, la musique a été comme un partenaire pour moi. J’ai toujours considéré la création musicale comme une sorte de collaboration, comme s’il y avait une force invisible avec laquelle je communiquais. Mais dernièrement, j’ai l’impression d’avoir perdu cette connexion.
Quand ton socle est instable, les circonstances te le font perdre, et tout doit être réarrangé. C’est un processus stressant. Même si ma situation n’est pas la pire, je ne vis pas dans un danger constant, être dans un nouvel environnement avec mon TDAH est très exigeant. Et maintenant, je me sens déconnectée de la musique d’une façon étrange parce que je ne comprends plus vraiment où j’en suis ni ce que je veux musicalement.
Q : Diriez-vous donc que vous êtes à un carrefour créatif, en train de chercher votre direction?
R : Exactement. Je remets tout en question, où je suis, pourquoi je fais cela. C’est comme si je devais tout réinventer, et ça demande une énergie que je n’ai pas toujours. Avant, j’étais très sûre et heureuse de mon travail, du genre « voilà ce que j’aime ». Mais aujourd’hui, je ne peux plus le dire. C’est une période d’incertitude. En plus, c’est difficile de penser à faire de la musique quand tous tes collaborateurs sont éparpillés sur la planète. Je ne stresse pas trop à ce sujet, j’accepte que c’est là où j’en suis, même si c’est un chemin incertain. C’est dans cette quête que je cherche mon prochain souffle créatif.
Crédit photo: Ludovic Boquel
Cette entrevue est la dernière d'une série de trois qui avait comme objectif de révéler trois réalités différentes (de la Russie - Kate NV, du Mexique - Reyna Tropical et du Québec - Viviane Audet), toutes unies par le fil conducteur de la solitude. Au-delà de son apparente dureté, ce thème difficile se révèle aussi une source de lumière, de sens et de renouveau pour ces artistes. Chacune, à sa manière, incarne la capacité de transformer l’isolement en ancrage créatif et personnel.
Le Festif! de Baie-Saint-Paul, par sa mission de mettre en lumière une grande diversité d’artistes, crée ainsi une magnifique toile de connexions humaines et artistiques. Ce tissage d’histoires singulières, portées par la musique et la réflexion, invite le public à embrasser la complexité et la richesse de la solitude, loin des clichés, avec authenticité et espoir. Merci au Festif! de Baie-Saint-Paul de m’avoir accueillie dans cette 16e édition haute en découvertes, en émotions et en musique. Pour en savoir plus sur le festival, visitez lefestif.ca