Marjorie Champagne: Marie-France, vous co-animez avec Marie Grégoire un balado qui se nomme Les femmes et l'argent. Faut dire que le sujet, il est inépuisable, l'argent et les femmes, c'est quand même deux points d'intérêt à creuser!
Marie France Bazzo : On
pourrait même dire, globalement, l'argent et le Québec! On a vraiment un
rapport très très particulier, culturellement, à l'argent, au Québec, et quand
on creuse la question des femmes et de l'argent – c'est vraiment intéressant
parce que quand on faisait la balado, Marie et moi, y'a des sujets qui touchent
plus directement, plus précisément les femmes quand on parle d'argent, mais y'a
beaucoup de questions où on se disait « hum, est-ce que cette situation
là, ça touche spécifiquement les femmes, ou c'est vraiment avant tout une
question culturelle au Québec, ce rapport à l'argent ? « On est nés pour un petit pain, faut
pas trop le montrer, ha c'est pas grave ! » Y'a quelque chose, parfois ça
se croise, parfois c'est vraiment spécifiquement « quel est le lien entre
les femmes et l'argent ? » on s'est vraiment beaucoup amusées à faire ça
ensemble, mais ça a posé des questions. C'est un cheminement, je
pense, qui continue à nous habiter et puis, j'espère, qui va essaimer à travers
le balado, parce que ça nous concerne pas mal toutes !
MC : y'a même de vos
invité.es qui désiraient demeurer anonymes …
MFB : Oui, oui,
absolument! C'est particulier, c'est dire à quel point... entre autre des
hommes qui faisaient moins d'argent que leur conjointe, euh, une fille qui,
vraiment, dans une optique féministe, essaie de brasser ses copines autour, ses
collègues, de leur dire « écoutez, négociez mieux que ça, ça
n'a aucun sens » mais qui ne veut pas trop s'afficher non plus... oui, y'a
des zones... c'est un sujet « totché »!
MC : C'est
« totché » ...On est loin, je vais y aller dans le cliché des
américains, mais les américains eux, han, bling bling, y'a pas de problème, les
grosses chaines en or, pis ça y va par-là!
MFB : Oui, c'est pour
ça aussi qu'il y a quelque chose de culturel, vous avez tout à fait raison de
sortir cette comparaison avec les États-Unis. En France c'est aussi très
nébuleux les questions salariales, on ne sait jamais vraiment combien gagne
notre interlocuteur, même dans la famille, quand on a de la famille en France-
c'est mon cas - je ne sais pas
exactement combien gagne mon beau-frère ou ma belle-sœur. Y'a quelque chose de
nébuleux, de flou... puis ici au Québec on est un petit peu à la croisée des
deux, on aime bien étaler nos possessions, le reflet de notre richesse le
reflet de ce qu'on a quand on en a, mais y’a en même temps ce tabou autour de
la négociation, autour du fait d'avoir de l'argent, mais aussi autour de tout
ce que ça implique avoir de l’argent. Et ça, ça nous ramène aux femmes. Pour
moi et pour Marie, l’argent est indissociable du pouvoir. En terme collectif,
on ramène l'idée des classes sociales, c'est sûr que le pouvoir est là où est
l'argent dans les classes sociales, mais au point de vue individuel, une femme
monoparentale avec des enfants qui travaille comme préposée aux bénéficiaires
n'a pas le même pouvoir qu'une cheffe d’entreprise.
MC : Tout à fait. Le
pouvoir vient avec l'argent, vous l'avez dit. Pis à quel point est-ce que ce
pouvoir la peut être bien exercé, doit être bien exercé sans écraser les autres
ça aussi c'est une bonne grosse question!
MFB : y'a le côté judéo-chrétien effectivement, ça, on revient au Québec,
c'est très culturel, ça c'est propre au Québec, je suis certaine qu'il y a des
hommes qui vont se reconnaître dans ce que vous venez de dire. Mais y'a
vraiment... on a fait un vox pop et vraiment, on est tombées en bas de notre
chaise, parce qu'on parlait de la question du pouvoir. Pour nous, je le répète,
l'argent donne du pouvoir, même modestement, on parle pas d'argent à des
niveaux stratosphériques, on parle juste d'avoir le pouvoir par exemple, pour
une femme de quitter un conjoint avec lequel elle ne se sent pas confortable.
Ça prend de l'argent pour pouvoir payer l'appartement à côté, pour pouvoir se
faire vivre et faire vivre la famille, donc l'argent donne le pouvoir de
prendre des décisions dans la vie, de quitter un emploi qui ne nous satisfait
pas, de s'accorder un peu de luxe, juste le nécessaire qui fait qu'on va avoir
une vie sécuritaire. Alors pour nous l'argent est synonyme de pouvoir. On
demandait à des gens rencontrés dans la rue, de tous âges, et des femmes aussi,
c'est quoi le pouvoir, le vrai pouvoir pour les femmes? Et ça tournait beaucoup
autour de : « le pouvoir des femmes c'est leur féminité, ça passe par
leur physique, ça passe par leur beauté ça passe par le sexe... » Oui c’est
un pouvoir, certes, mais de considérer que le Pouvoir avec une majuscule est
là, ça a été vraiment un choc !
MC : Marie-France Bazzo,
c’est quand même triste de penser que les femmes sont, et c'est prouvé, moins
riches que les hommes en général, elles exercent des métiers qui sont moins
bien payées, on l'a vu avec la pandémie entre autres. En dehors de la
réorientation, on ne va pas toutes se réorienter vers le numérique ! On fait
quoi pour avoir plus d'argent et plus de pouvoir, ou plus de pouvoir sans
argent aussi?
MFB : Ça passe par différents leviers, y'a celui de pression politique, de pression économique pour que par exemple le salaire minimum soit haussé, soit ajusté, que les conditions de travail dans des milieux typiquement féminins, et la pandémie aura été un épouvantable formidable révélateur de la vulnérabilité économique des femmes, les femmes qui sont beaucoup dans des secteurs, encore moins payé, du soin, du care, de l'enseignement, où la charge de travail est ingrate et souvent les salaires ne sont pas à la hauteur , donc des pression politique des élus et des élues qui se font le porte-ballon de ces revendications-là. Dans notre vie personnelle, de se rendre compte que l'argent est un pouvoir, de savoir négocier, dans les métiers qui ne sont pas encadrés par des conventions collectives, nous avons un pouvoir et nous pouvons aller chercher de l'argent, de cesser de se dire que « non, c'est pas grave, je le mérite pas, » non, c’est pas vrai, y'a vraiment des leviers, des ressorts personnels, des ressorts collectifs pour arriver à avoir plus d'argent, d'avoir des modèles aussi y'en a de plus en plus.
L'entrevue intégrale est disponible ici à la 48e minute : Québec,réveille 3 mars 2022
Pour plus de détails sur cette série balado hors du commun, consultez l'article de Mélina Nantel dans La Gazette des Femmes