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C'est soir d'avant-première au théâtre La Bordée. L'ambiance est fébrile, moi aussi : je sors de ma zone de confort, constituée de micros, d'écouteurs douillets et de pitons pour assister à la pièce Lentement la beauté chez nos voisins de porte. 

Brève rencontre, tout d'abord, avec les jeunes ambassadeurs, un des projets de médiation culturelle de La Bordée qui permet à deux jeunes par cégep ou école secondaire, d'assister aux avant-premières et d'agir par la suite comme ambassadeurs du théâtre auprès de leurs pairs et de leur famille. Certains d'entre eux produiront par ailleurs une balado, Tête-à-tête àl'ambassade, sur les pièces auxquelles ils auront assisté .  

Par la suite, nous profitons d'un passage éclair du directeur artistique de La Bordée, Michel Nadeau, qui est également le metteur en scène et co-auteur de la pièce présentée ce soir, pour jaser théâtre. Les projets de médiation culturelle, comme en témoignent les jeunes ambassadeurs, Enjeux en scène, et plusieurs autres,  sont chers à La Bordée, un théâtre bien ancré dans le quartier Saint-Roch. C'est un théâtre « engagé, citoyen, préoccupé par les enjeux, les grandes questions » , dira-t-il, «  des thèmes sociaux qui sont sous-jacents à toutes les pièces ».  

Lentement la beauté ne fait pas exception à la règle.  Campé dans la ville de Québec, vous y reconnaîtrez différents lieux, et même certains personnages du paysage urbain.  Son texte, une création collective de Michel Nadeau et de ses six interprètes de l'époque, avait pour point de départ une idée toute simple. Lorsqu'une personne est transformée par une oeuvre d'art, que lui arrive-t-il ensuite ? Que devient-elle?  Deux ans d'improvisation et de rédaction ont donné naissance à ce texte qui met en lumière ce pouvoir transformatif de l'art. 

Cette transformation, elle sera vécue par l'Homme (Hugues Frenette), un fonctionnaire arrivé à la mi-quarantaine, prisonnier d'une vie qu'il a, comme son fils (Marc-Antoine Marceau) le lui fera remarquer, lui-même choisie. Son mal-être croissant, tant face à sa vie familiale, désincarnée, qu'à sa vie professionnelle où ses collègues travaillent toujours plus, trouvera écho dans les personnages d'une pièce de Tchekov, Les Trois Soeurs. Ce billet gagné au hasard aura des conséquences inattendues sur la vie de l'Homme.

« ...Le vrai problème, c'est un manque d'amour, au sens large »

Lentement la beauté réussit à aborder un sujet lourd s'il en est un, la crise existentielle, mais d'un angle et avec une légèreté qui rendent presque courtes les 105 minutes de la pièce. On rit des travers des personnages, de leurs contradictions, on s'y reconnaît, on s'attache à eux dans toute leur imparfaite humanité.

Hugues Frenette, au jeu assuré,  se fond dans la peau de l'Homme qu'il incarne avec grande justesse. Il est appuyé par Charles-Étienne Beaulne, Claude Breton-Potvin, Véronika Makdissi-Warren, Marc-Antoine Marceau et Nathalie Séguin, qui assument pour leur part une pléthore de personnages, passant de collègue de travail à camelot de
La Quête, de personnel hospitalier à membre de la famille. Tout un mandat, qui leur impose le défi de changer constamment de personnage , parfois en l'espace de quelques secondes.  Fait particulier, Hugues Frenette et Veronika Makdissi-Warren jouaient, entre autres personnages dans la première mouture de la pièce, les enfants. Ce sont aujourd'hui eux les parents!

La mise en scène de Michel Nadeau, qui selon ses dires, a été légèrement ajustée afin de mieux coller à 2019, est pour le moins ingénieuse. Les six comédiens déplacent eux-mêmes les éléments de décor (dont trois tables, six chaises ) qui deviennent tour à tour salon, autobus, salle de réunion, banc de parc... Le tout, habilement chorégraphié, permet de se transporter dans d'autres lieux sans avoir à passer au noir ni changer de décor, et donc de conserver un rythme agile, vigoureux.  Certains passages de la pièce, joués en partie depuis les coulisses et où l'Homme est seul, sur scène, renforcent une impression qu'il est à l'écart de sa propre vie, un spectateur passif. 

Mention particulière à l'éclairage, signé Denis Guérette.  Lumières depuis les coulisses, éclairage bleu identifiant les moments de rêverie, d'imaginaire, jeux d'ombres ingénieux qui semblent décupler le nombre de comédiens en scène, celui-ci s'avère particulièrement efficace. La trame sonore de Stéphane Caron  joue de la même sobriété que les décors, mêlant les ambiances sonores à certaines pièces tantôt de Bach, tantôt russes, tantôt de chant grégorien.

Lentement la beauté,  sujet lourd, traitement tout en légèreté. Sombre et lumineux à la fois,  comme nos vies. 

C'est à l'affiche à La Bordée jusqu'au 12 octobre. Allez-y. N'attendez pas 15 ans. Qui sait? Vous pourriez en ressortir transformés!



 
 

Émiss
ions

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